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La puissance du livre et de la culture par William March - Compagnie K

Alan Methot 
Ma poésie commençait à attirer l’attention quand je me suis engagé, convaincu de la beauté de la guerre par celle de mes propres sonnets. Ensuite, des mois d’instruction, de labeur et de souffrances. Mais j’aurai pu endurer l’humiliation et les heures répétées d’absurde besogne. Je m’y suis habitué à la longue et je savais m’en détacher. C’était l’isolement spirituel, l’insupportable. A qui pouvais-je parler ? Qui pouvait me comprendre ? Il n’y avait personne, absolument personne. Ce sentiment de singularité d’être seul. Il se refermait sur moi de plus en plus. Je regardais mes camarades, leurs visages inexpressifs de moutons. Ils n’attendaient rien d’autre de la vie que le repas et le repos, ou une nuit d’ivresse dans une maison de passe. Un sentiment de dégoût m’envahissait. Etres abrutis et indifférents, insensibles à la beauté.
En ces nuits de garde avec Danny O Leary, ses yeux désertés par l’intelligence. Il restait là à me dévisager d’un air stupide, ses épais sourcils froncés, ses grosses lèvres pendantes comme celles d’un idiot. J’ai essayé de lui parler mais c’était sans espoir. Il baissait les yeux comme s’il avait honte de moi et fixait le caillebotis en ne sachant pas quoi faire de son fusil. Je marchais jusqu’au bout de la tranchée et contemplais une fusée vers le nord qui se consumait dans une lumière verte. Ce sentiment d’isolement. Ce sentiment d’être seul parmi des étrangers. J’ai enjambé la crête de la tranchée et je me suis dirigé vers les lignes allemandes. Je marchais lentement, regardant les fusées et murmurant les vers de mes poèmes, m’arrêtant puis repartant de l’avant. Bientôt une main surgira et brusquement elle m’arrachera du sol, je pensais, et alors je serai étendu au sol, corps brisé contre cette terre brisée. Bientôt un pied qui aura la forme de l’infini viendra se poser sur mon crâne frêle et l’écrasera.

Danny O’Leary 
Je voudrais que tu puisses me voir maintenant Alan Methot. Je voudrais que tu puisses voir ce que tu as créé. Car oui, tu m’as créé, bien plus complètement que le docker ivrogne dont la semence m’a un jour engendré. J’étais tellement frustre, tellement bête et puis tu es venu. Comment savais-tu ? Comment as-tu pu voir, au travers de toutes les couches, l’infâme étincelle qui était cachée en moi ? Te rappelles tu nos nuits de gardes où tu récitais Shelley et Wordsworth ? Ta voix scandant les vers était la chose la plus belle que j’ai jamais entendue. Je voulais te parler, te dire que je comprenais, te faire savoir que ta foi en moi ne serait pas vaine, mais je n’osais pas. Il m’était impossible de te considérer comme un être humain semblable à moi, ou aux autres hommes de la compagnie. Je te considérais comme une personne tellement supérieure à nous qu’en ta présence je restais muet, et je souhaitais qu’un Allemand saute dans la tranchée dans le but de te tuer pour me permettre d’interposer mon corps entre toi et la balle. Je restais là à ne pas savoir quoi faire de mon fusil, espérant que tu continuerais à jamais de dire ces vers magnifiques. J’apprendrai à lire, je me disais. Quand la guerre sera finie, j’apprendrai à lire.

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